jeudi 17 janvier 2013

Deux guerres

Les échos de deux guerres parviennent jusqu’ici et troublent un peu la quiétude de ce début d’hiver floridien. Une guerre de chiffres, où les universités sont le champ de bataille, et une autre, avec des fusils, au Mali, en Afrique.
 Pourtant, on ne parle pas ou peu de ces deux guerres-là dans les médias ici, et elles n’ont aucun écho dans les conversations quotidiennes alentour. Les nouvelles arrivent, grâce à Internet et Radio-Canada, et ravivent mes préoccupations.  
Je m’inquiète pour le Mali, pour le Sahara, pour cette Afrique que je connais puisque j’y ai séjourné dans une vie antérieure. Et je m’étonne que cette guerre-là n’émeuve à peu près personne, même si la France débarque avec ses soldats, le Canada «prête» un avion de transport de troupes pour une semaine (le ridicule ne tue pas, dit-on), d’autres pays occidentaux songent à intervenir. Effroi. J’en parlerai une autre fois.
L’autre guerre se déroule plus près de nous, sur le front des universités, et les armes sont pour l’instant des chiffres incompréhensibles, ce qui étourdit tout le monde. Nous voici en face d’arguments qui se polarisent : sous-financement d’un côté, mauvaise gouvernance de l’autre. Mais ce qui est en jeu, dans tout cela, c’est rien de moins que l’importance qu’on donne à l’enseignement supérieur au Québec, la possibilité pour un plus grand nombre de nos enfants d’accéder aux études universitaires et la nécessité que les programmes offerts répondent aux besoins. Notre avenir, en somme!
Si on se contente d’aligner des colonnes de millions et de milliards de dollars, on risque de perdre de vue le plus important, c’est-à-dire la façon dont nos institutions universitaires répondent à un très large éventail d’exigences en matière d’enseignement supérieur. L’objectif est large : fournir une formation fondamentale essentielle, basée sur l’acquisition de connaissances  ET la formation d’un esprit critique, acquérir des compétences professionnelles utiles au travail, veiller au développement de disciplines anciennes et nouvelles, assurer des passerelles entre la recherche et l’enseignement. On a beau dire qu’on se prépare à un Sommet sur l’enseignement supérieur, ce n’est pas de ça qu’on parle!
Tout cela est parti d’une affaire de droits de scolarité. Le printemps érable a réveillé des élans revendicateurs (certains diraient révolutionnaires) qu’on croyait endormis depuis le printemps 68. Les carrés rouges nous ont fait rêver à des lendemains meilleurs. Mais depuis, on s’enlise dans des querelles de clans, les étudiants d’un côté, les recteurs de l’autre, les uns et les autres appuyant leurs déclarations (devant micros) sur des données que personne ne comprend.
Qui a raison, qui a tort? On finit par réclamer une médiation, l’intervention d’un arbitre «neutre» (voir l’édito du Devoir d’aujourd’hui : http://www.ledevoir.com/politique/quebec/368531/creer-la-confiance_ , le vérificateur général ou un autre, qui pourrait trancher et nous dire … quoi? Quoi, au juste? Le Québec en met trop peu dans la cagnotte de l’enseignement supérieur ? Ou au contraire, on en met assez mais on l’utilise mal?  Les universités sont bien gérées? Ou alors, il y pourrait y avoir un meilleur équilibre des finances? Et que fera-t-on de cet avis du médiateur, VG ou autre?
Il y a une dizaine d’années, tout le monde s’entendait sur un point : les universités québécoises reçoivent moins que les autres universités, au Canada, toutes données comparées. Le gouvernement se désistait subitement, on modifiait les modalités de transfert, bref, on changeait les formules établies dans le but d’économiser, bien sûr. Les universités ont  vécu et survécu tant bien que mal malgré cette carence de financement pendant de nombreuses années, au point de s’y habituer et de développer toutes sortes de façons, certaines assez astucieuses du reste, d’en éviter les effets néfastes.
 Puis, la mode de la gouvernance a tout balayé : fallait renouveler les conseils d’administration, en diminuer la taille et y faire entrer des experts externes – autant dire, éliminer les membres de l’interne – et doter l’institution universitaire de mécanismes de gouvernance calqués sur ceux de l’entreprise privée. Aberration, avons-nous répliqué! Au bout du compte, on a évité le pire, disons. Cette mode est en train de s’effacer d’elle-même.
Nous voilà maintenant sur le terrain des finances. Ça tombe mal : on parle de fonds publics! Du coup, tout le monde et son frère ou sa sœur se croit doté de compétences en matière de gestion universitaire! Des déficits? Prouvez-nous-les! Sous-financement? Vos études sont peu crédibles! Mauvaise gestion! Que le VG regarde tout ça et s’il nous démontre qu’il manque des fonds, ON verra comment on peut régler ça! Un peu comme si tout le monde savait mieux gérer les universités que les universitaires eux-mêmes!
Non, mais on rêve, ma foi! Qui aurait cru que ce malheureux épisode de l’ilot Voyageur nous hanterait autant et si longtemps! Ce vilain canard boiteux a semé la gangrène chez ses voisin-e-s et voilà qu’à présent tout le monde est soupçonné de malversations. La guerre n’est pas finie, je crois bien qu’on en a pour un bon moment …

Pourquoi ce long édito? Comprenez qu’il me soit difficile de rester insensible quand la troisième  des rencontres préparatoires au Sommet sur l’éducation supérieure s’ouvre aujourd’hui même à Sherbrooke, siège de mon université. Sans compter que j’ai siégé pendant huit ans au conseil d’administration de l’U de S! Ça laisse des traces, voyez-vous!

P.S. Rassurez-vous : la chronique de notre petite vie quotidienne ici, avec photos à l'appui, sera de retour bientôt...

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